Lire, écrire, compter, c’est bien mais on pourrait ajouter, les années passant, se souvenir car « donner son témoignage, c’est accepter de prolonger un aspect de son expérience de vie dans la mémoire des autres, c’est leur léguer son histoire, c’est leur donner des racines » (1).
C’est en ce sens, que l’AMOPA de Maine-et-Loire vous invite à découvrir cette nouvelle rubrique constituée d’histoires individuelles confiées par ses membres.
Aujourd’hui, ce livre s’ouvre sur la mémoire de Mireille L. alors jeune institutrice.
« Je suis dans ma chambre, assise sur le bord du lit, un carnet sur les genoux, un crayon de bois à la main et je me souviens…
De mes premiers vrais débuts – je n’avais fait que quelques courts remplacements en ville – et me voilà catapultée dans l’arène sauvage sur un plateau à Saint Clément (3), au-dessus de la première station thermale de Vic-sur-Cère, dans mon Cantal. Je devais remplacer un collègue appelé au service militaire.
Dans ce village cul-de-sac, il faut que je vous dise, l’école était la dernière maison qui butait sur la montagne, juste après celle, inhabitée, dans laquelle, me dira-t-on, un monsieur s’était pendu.
Toute jeunette et inexpérimentée, je me suis retrouvée à la tête de 27 petits taurillons, de la section enfantine jusqu’au CM2. On veut bien faire, on y met toute son énergie mais que c’était difficile et éprouvant dans ce hameau où subsistait encore une école à classe unique – qui doit être fermée depuis bien longtemps !
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Je m’essayais à un vrai travail de jonglage entre toutes les classes, c’est épuisant ! Il faut être jeune… Le conseiller pédagogique, venu me visiter assez rapidement déclara « mais ma pauvre petite, vous en faites bien trop ! » et il me suggéra de grouper pour certaines matières les CE 1 et les CE 2, les CM1 et les CM2, etc.
Les élèves étaient gentils sauf deux frères jumeaux, effrontés et parfois insolents – leur père était un riche paysan. Un jour, excédée par le comportement de l’un d’eux, je l’avais fait mettre à genou dans un coin ; mal m’en a pris, c’est à ce moment-là que l’inspecteur a choisi de venir. Se rendant compte de la charge de travail de la pauvre débutante, il fut très compréhensif et me conseilla cependant… d’opter pour une autre méthode.
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Il faut que je vous dise quand papa m’amena à St-Clément – car je n’avais pas encore de voiture – je dus aller récupérer la clé de la salle de classe, devinez où… chez Monsieur le curé qui était aussi secrétaire de mairie. M’observant, il déclara « alors, c’est vous la nouvelle instit. ? Mais vous êtes très jeune ! » (Compliment ?), puis il ajouta très vite « enfin, la valeur n’attend pas le nombre des années ». Inutile de vous dire que je n’allais pas le voir souvent ; j’appris plus tard par ma logeuse qu’il profitait de mon jour de congé hebdomadaire du jeudi (4) où j’allais chez mes parents, pour faire sa petite inspection dans la salle de classe… Vous pensez bien ! J’en ai été ravie.
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Je viens de parler de ma logeuse Madame A. tellement gentille. Tous les soirs, elle me préparait une tisane de mélisse pour, disait-elle, « me détendre et m’aider à dormir ». Son mari, cantonnier, rentrait chaque fin de journée, plus ou moins assuré sur ses jambes. Quel mérite elle avait cette femme ! Je n’aimais pas le voir revenir ainsi ni leurs deux petites filles que j’avais en classe, la plus grande surtout, J., tellement gênée que sa maitresse assiste à la conduite peu exemplaire de son père.
Je louais donc une petite chambre. Pour y accéder, je devais contourner la maison. La porte donnait sur un petit chemin en pente. Une nuit, je fus réveillée par un bruit derrière cette porte. Effrayée, je compris que quelqu’un venait de s’affaler contre la porte ; par moments, j’entendais grommeler, prononcer des paroles incohérentes. Vous pensez bien que je n’ai pu fermer l’œil jusqu’à mon lever et je redoutais le moment où je devrai sortir de ma chambre. Heureusement, sans doute dégrisé par la fraicheur du petit matin, notre oiseau s’était envolé. J’appris que c’était un vieux berger du coin, connu pour son fort penchant pour le vin.
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Que dire encore de mes premières armes à Saint-Clément ? J’allais chez mes parents mon jour de congé. Une maman d’une élève qui allait chercher d’autres de ses enfants au collège de Vic, me descendait jusqu’à la gare. Et je devais attendre plus d’une heure pour prendre le train pour Aurillac. J’avais donc pris l’habitude de patienter dans le petit café en face où la patronne et moi avions fini par sympathiser. Je profitais aussi de ce moment pour ébaucher un peu mon travail de classe.
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Chez papa et maman, je consacrais une bonne partie de l’après-midi, de cette journée qui passait tellement vite, à préparer les cours, effectuer recherches et mises en forme, rédiger le cahier-journal pour les jours à venir. Mes parents, sans me le reprocher, en étaient consternés. Je crois qu’ils auraient bien voulu passer un peu plus de temps avec moi.
Des vacances de ce Noël – là, très peu de souvenirs mais des bons. J’étais dans ma famille. Pour quelques jours, finie la solitude dans les montagnes. Car, dans beaucoup de lieux, j’ai souffert d’être seule. J’avais la compagnie de mes élèves, mais il me manquait la présence adulte, une personne ou une collègue avec qui parler des problèmes du métier, des bons et des mauvais côtés, de la profession, partager, se sentir épaulée…
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Vient la rentrée de janvier, je me souviens…
Au petit matin, papa m’a amenée avec sa voiture. Arrivés au Col de Curebourse (5), impossible de continuer tant était importante l’épaisseur de neige. Nous avons continué à pied dans la neige, avec ma valise sur une luge prêtée par des habitants.
Neige sur le chemin, neige sur les toits, neige dans la cour de l’école. On entrait de plain- pied dans la salle de classe. Et ce n’est qu’à la rentrée des vacances de Pâques qu’il m’est revenu qu’il y avait trois marches pour y accéder !
Deuxième trimestre, troisième trimestre, Dieu merci, plus de neige et, je dois l’avouer, comme je fus heureuse de voir arriver les grandes vacances ! ».
FIN
Pour la petite histoire,
Aux mêmes moments, vers l’est à quelques vallées et plateaux de là, en ce haut Cantal, chaque matin d’école, H. une petite fille de 4 ans levée tôt et déjeuner solide au corps, partait à l’école communale, classe unique, à un kilomètre de son village, lestement juchée sur les épaules de son papa, qui, à grands pas, traçait le chemin.
Le monde est petit : Quelques soixante ans plus tard, Mireille et H. se rencontreront… dans le cadre de l’AMOPA de Maine-et-Loire.
Notes
- Emprunt à un article évoquant le travail entrepris sur La vie des buronniers du Cantal.
- En tant qu’assemblage d’éléments d’apparence disparate qui constituent cependant un ensemble.
- Petit village du centre de la France situé dans le département du Cantal en Auvergne, altitude 1018 m.
- Le jour d’interruption des classes au cours de la semaine scolaire est passé du jeudi au mercredi à la rentrée de 1972 –MENJS education.gouv.fr « Les archives du calendrier scolaire ».
- Col situé à 997 m d’altitude.
Article de Hilda Louchart
Hilda Louchart est attachée d’Administration de l’État honoraire et membre du comité de l’AMOPA de Maine-et-Loire. Elle a recueilli ce très beau témoignage et l’a présenté.