Jean Morlong, président d’honneur de la section de Maine-et-Loire de l’AMOPA, présente dans ce second article les combats et les luttes sociales qui ont accompagné l’exploitation du schiste ainsi que le rôle considérable tenu par Ludovic Ménard. Il fait suite à plusieurs articles parus dans la rubrique « Patrimoines en Maine-et-Loire » consacrés à ces pages d’histoire et des techniques qui ont marqué la région d’Angers. Jean Morlong s’attache aux luttes menées jusqu’en 1920.
Moins d’un an après l’insurrection de la « Marianne », Napoléon III est venu constater les dégâts causés par la rupture de la levée de la Loire. A l’annonce des secours destinés aux familles éprouvées par le désastre, l’Empereur est acclamé longuement. La presse locale souligne dans le compte rendu de cette visite impériale un passage tiré de l’allocution prononcée par Napoléon : « Une révolte c’est comme une rivière sortie de son lit, tout finit par rentrer dans le calme. »
Apparemment, tout est rentré dans l’ordre et les exploitants se sentent à l’abri de troubles sociaux, et ce d’autant plus que le 22 juin 1854 une loi est votée qui fait obligation à tout salarié d’être en possession d’un livret de travail. Celui-ci donne au patronat la possibilité de sélectionner son personnel et d’évincer les éléments supposés animés d’idées d’insubordination qu’ils manifestent de plus en plus. Ainsi prémunie contre les troubles sociaux, l’industrie ardoisière connaît une période de résignation, de passivité, de silence de ses salariés, qui marque une bonne partie du second empire et les débuts de la IIIème République.
Assouplissement de la politique sociale de Napoléon III.
La révolution industrielle a conduit à l’éveil d’une classe sociale de plus en plus combative. Napoléon souhaite se rapprocher de la classe ouvrière en assouplissant sa politique sociale. Est votée le 25 mai 1864 la loi « Ollivier » qui permet aux ouvriers de faire grève à condition de respecter certaines règles : ne pas empêcher le travail des non-grévistes, ne pas commettre d’actes de violences. Le droit de réunion n’est toujours pas reconnu, ce qui complique l’organisation de rencontres et de réunions entre ouvriers. Cette loi présente une petite avancée sociale qui reste très limitée…
Après le désastre de la guerre de 1870–1871 et durant les années qui ont suivi le conflit, la France a connu une grave crise économique qui n’a pas épargné le bassin angevin. Les revenus des ouvriers ont subi le contrecoup de cette crise, amenuisés par le chômage ou par des licenciements. Cependant les denrées de première nécessité n’ont pas cessé d’augmenter ; les conditions de vie de bon nombre de familles sont devenues dramatiques.
En 1880, après l’amnistie des révoltés de la Commune de Paris, se révèle un renouveau de la combativité ouvrière à l’instigation d’André Bahonneau, d’Olivier Georget, de Louis Monterneau et de Michel Judon. Sont déposés à la préfecture d’Angers les statuts d’une Chambre syndicale. En dépit d’une fin de non-recevoir, on accorde une tolérance de fait mais sans aucune reconnaissance légale. Les pouvoirs publics la considèrent comme inexistante. A ses débuts, cette Chambre ne compte que 72 membres, compte tenu de la méfiance et de l’esprit individualiste des vieux Perreyeur, toujours hostiles à toute discipline. Elle rayonne peu.
En 1882 viennent à Angers tenir des conférences deux proscrits de la Commune, Jean Allemane et Jean Baptiste Clément. Ils évoquent les problèmes sociaux et les solutions que peut apporter le socialisme révolutionnaire. (La loi d’amnistie des Communards a été votée le 11/07/1880). Ludovic Ménard et André Bahonneau assistent à ces conférences. Ils adhèrent aux idées de ces hommes et le socialisme révolutionnaire leur apparaît comme le meilleur instrument de la libération de l’individu. Conscient de la lutte à choisir et à mener, Ludovic Ménard hésite entre le socialisme politique et le syndicalisme corporatif. Il essaie d’abord de placer son combat sur le terrain politique. En 1885, il se présente aux élections législatives en tête de la liste socialiste. Il est largement battu par les conservateurs. Même échec en 1887 pour un siège au Conseil général. En 1884 est votée la loi Waldeck-Rousseau reconnaissant les syndicats professionnels. Peu active, la Chambre syndicale néglige de se soumettre aux formalités exigées par cette loi (Déclaration en mairie).
Les débuts difficiles du syndicalisme aux ardoisières.
A l’instigation d’Allemane venu plusieurs fois à Angers et à Trélazé, Ménard et Bahonneau fondent la section angevine de la « Fédération des Travailleurs socialistes ». En 1888, Ménard collabore à un hebdomadaire socialiste local, « Le Travailleur ». Au cours des années 1884-1886, une grave crise économique entraîne à nouveau du chômage, des baisses de salaires, des licenciements. Le 23 janvier 1886, 250 chômeurs manifestent devant le domicile du directeur de la carrière de la Paperie : insultes, jets de pierre, vitres brisées par un chômeur ivre. Le rapport de police dénonce la sévérité du patronat ayant tendance à diminuer sans cesse les salaires ; le moindre acte d’insubordination entraîne le renvoi.
Ludovic Ménard fondateur du syndicalisme ardoisier.
Le 8 mars 1888, Joseph Tortelier, anarchiste et syndicaliste révolutionnaire, partisan de la grève générale, tient une conférence à Trélazé où il traite le thème de l’utilité des Chambres syndicales. Déçu par le socialisme politique, Ménard verra, dans les idées anarchistes, un moyen d’arracher le mouvement ouvrier de ces conditions de vie misérables. De l’anarchisme, il retient surtout l’antiparlementarisme, à côté de l’abstentionnisme électoral, l’antimilitarisme, mais surtout l’importance de l’éducation et de la coopération. En revanche, il ne préconisera jamais la propagande par la bombe et la violence. A son instigation sont déposés à la mairie de Trélazé le 12 novembre 1890 les statuts d’une nouvelle Chambre syndicale.
Qui est Ludovic Ménard (1855-1935) ?
Ludovic Ménard est né à Saumur, rue du Portail Louis, le 9 septembre 1855 (Il est déclaré sous le nom de Charles mais très tôt sa mère avait pris l’habitude de l’appeler Ludovic, prénom qu’elle affectionnait).
Sa mère, d’origine vendéenne, est une femme intelligente et bonne qui exercera une grande influence sur son fils. Ludovic gardera toujours pour sa mère une grande affection. Son père, Charles Ménard, est ouvrier d’usine sans spécialité. Quelques années après la naissance de Ludovic, la famille s’agrandit de deux autres enfants et vient s’installer à Angers, rue de l’abbaye, dans un taudis composé d’une seule pièce ; et plus tard la famille loge dans une cave, place de la Paix, éclairée uniquement d’un soupirail au niveau du sol.
En 1866, Charles Ménard est embauché comme journalier à la manufacture d’allumettes de Trélazé, ouverte en 1863. La famille vient habiter la cité ardoisière. Dans son enfance, Ludovic connut l’extrême pauvreté et il l’évoque dans ces termes : « Nous étions trois gosses à la maison, mon père, simple journalier, ne gagnait que 2 fr.50 à 2 fr.75 par jour, et n’entendait rien devoir à la charité publique. Que de repas au pain sec, soi-disant pour nous faire de beaux yeux. Notre belle jardinière était le marché aux puces. Après une inspection minutieuse des vieilles défroques tournées et retournées en tous sens, ma pauvre mère arrêtait son choix sur ce qu’elle nous destinait. »
Cependant, il fréquente l’école primaire avec le plus grand profit mais il la quitte à l’âge de onze ans. Ses parents le placent aux Ardoisières de Trélazé comme apprenti fendeur d’ardoises. (A la carrière des Petits Carreaux). « J’aimais l’école, j’avais le goût à l’étude, mais me voilà apprenti fendeur d’ardoises, en butte avec toute la rusticité des vieux Perreyeux, écrit-il. »
Vers l’âge de dix-sept ans, il fit la connaissance d’un officier de santé, Camille Meneau, frappé de sa soif de s’instruire. Celui-ci lui conseilla de suivre les cours du soir pour adultes donnés à Angers. En même temps, il lui ouvrit sa bibliothèque et lui fit lire les classiques du XVIIe siècle, les philosophes du XVIII siècle, les écrivains révolutionnaires et socialistes du XIXème (Les Barbès, Louis Blanc, Proudhon, Saint-Simon et d’autres…). Ainsi, par un travail acharné, le jeune homme se dota d’un solide bagage intellectuel, tout à fait exceptionnel à cette époque pour un ouvrier. Sous l’influence de son protecteur, le jeune Ludovic, jusque-là jeune homme très pieux, perd la foi (il avait même pensé un moment à se faire prêtre). Ses lectures, ainsi que les leçons du labeur quotidien, lui inspirèrent très tôt une grande soif d’égalité, de justice sociale, de liberté et le désir d’un mieux-être pour ses compagnons de travail. Ces aspirations furent d’ailleurs fortifiées par les traditions révolutionnaires des ardoisiers, par tant de souvenirs évoqués par les anciens sur les buttes.
On sait peu de chose des années qui s’écoulèrent après son entrée en apprentissage en 1863 aux Petits-Carreaux où il se lia d’amitié avec André Bahonneau, son ainé de sept ans. C’était un homme énergique, conscient du droit des ouvriers à une vie meilleure et mieux assurée. Ménard et Bahonneau sont licenciés des Petits-Carreaux pour propagande politique. Ils se font embaucher à la carrière de la GrandMaison.
Première grève moderne dans les ardoisières.
La carrière du Pont-Malembert, indépendante de l’autorité de la Commission des Ardoisières, à la suite d’une mauvaise gestion financière, se déclare en perte. Fin 1889 et au printemps 1890, des diminutions de salaire et le chômage touchent particulièrement les fendeurs. La Chambre syndicale leur apporte son soutien. Georget et Judon incitent leurs camarades à obtenir de la direction de la carrière le retour au tarif en cours en novembre 1889, plus le versement d’une prime de 10 % sur le gain total de chaque ouvrier. A l’unanimité, il est décidé que s’il y a un refus de la Direction, les ouvriers cesseront le travail et cela jusqu’au jour où il sera fait droit à leur revendication. La Direction répond par un refus. Est déclenchée une grève qui affecte 70 ouvriers fendeurs ; par solidarité, les ouvriers « d’en bas » se joignent à eux.
La Direction prend la décision de procéder à l’enlèvement des « tue-vent » et des outils des grévistes dont ils sont les propriétaires. Tout est déposé dans un pré à cent cinquante mètres de l’exploitation, cela en présence des gendarmes.
A la suite de ce coup de force, la chambre syndicale organise une réunion. En présence de 400 personnes, Ludovic Ménard dénonce l’intervention de la gendarmerie, protectrice des patrons. Une fois de plus la force armée a agi « en faveur du capital contre le travail ».
Il insiste sur la misère de l’ouvrier ardoisier dont les salaires moyens sont de 2,5 à 3 fr. par jour. Il déclare : « La devise Liberté, Égalité, Fraternité n’est qu’un leurre ! L’ouvrier se trouvera dans l’obligation de relever la tête et de prendre son nécessaire là où il le trouvera. Alors les rôles seront « changés ; la bourgeoisie pourra se repentir de n’avoir pas tenu compte des justes réclamations des travailleurs. »
Dans les jours qui suivent, Ludovic Ménard, avec l’accord du « Comité de Grève », part pour tenir des conférences organisées au bénéfice des grévistes. Il visite plusieurs villes et partout fait appel à la solidarité ouvrière. Hélas, les Chambres syndicales qui le reçoivent sont sans grandes ressources ; les fonds recueillis sont insuffisants pour maintenir la grève qui agonise. Les ouvriers qui n’ont plus de ressources songent à reprendre le travail.
Le Maire de Trélazé, ainsi que le Préfet, font pression sur la Direction pour qu’elle se montre conciliante et reprenne les grévistes en totalité. La Direction exige que la reprise du travail se fasse dans le calme, que le personnel non-gréviste ne fasse pas l’objet de représailles et que les biens de l’entreprise soient respectés.
Après 30 jours de grève, les fendeurs reprennent le travail, à part le fils d’un militant syndicaliste jeune apprenti qui est licencié. Rien n’a été obtenu, c’est un échec. Ce qui est nouveau dans ce conflit, c’est la rapidité avec laquelle la solidarité des travailleurs s’est mise en place, le souci de l’organisation et surtout l’affirmation de vouloir, par la lutte, défendre leur dignité. Manifestement, quelque chose a bougé.
Grève des bassicotiers des Petits-Carreaux.
Le 16 mars 1891, les bassicotiers de la carrière des Petits-Carreaux revendiquent une augmentation journalière de 25 centimes ; refus de la Direction. La Chambre syndicale adresse une lettre au Préfet estimant que l’augmentation demandée est en mesure d’être supportée par la Commission. Elle représente un surcoût de charge annuel de 700 fr. Le syndicat pose un ultimatum : « Si à la fin du mois les bassicotiers n’obtiennent pas l’augmentation demandée, nous arrêterons le travail. »
Sans faire allusion à la revendication des bassicotiers, la Commission impose un nouveau règlement en supprimant une prime semestrielle de 60 fr. allouée aux fendeurs ayant fabriqué plus de 3000 modèles d’ardoises dit « anglais ». La grève est déclenchée. Est dirigée à Trélazé une compagnie d’infanterie, un escadron de cuirassiers et quatre brigades de gendarmerie.
Le sénateur Aimé Blavier, Président de la Commission des Ardoisières, dans une lettre ouverte au « Patriote de l ‘Ouest » accuse Ménard, Bahonneau, Georget d’être des meneurs semeurs de misère. Une réunion est organisée dans la salle des fêtes de la mairie d’Angers. Blavier y est invité.
Courageux, il relève le défi que le salaire de 2,50 fr. lui paraît suffisant pour les bassicotiers n’ayant pas à craindre le chômage. Il tente de faire ressortir que les fendeurs, qu’il considère comme l’aristocratie des carrières, gagnent bien leur vie. Il ajoute que le prix de l’ardoise est en baisse : « Comment voulez-vous que la Commission puisse vivre ! », dit-il. Il reprend devant l’auditoire hostile ses accusations contre les meneurs de la grève. Face au grand tumulte dans la salle qui empêche Blavier de continuer à parler, il se dispose à sortir lorsque Ménard qui se trouvait parmi le public se lève et prend place sur l’estrade. Blavier décide de rester. Ménard contredit Blavier : « Tout ce qu’il vient de dire est faux ! ». Celui-ci l’interrompt en disant : « Vous Ménard, vous travaillez encore, pendant que les autres sont en grève ! » Ménard travaillait en effet à la Grand’Maison, Société de l’Anjou non concernée par le conflit.
Il ne répond pas à cette interpellation mais lit un relevé de compte par lequel la Commission des Ardoisières ferait annuellement 240 000 fr. de bénéfice sur la vente des ardoises refusées. Il reproche à la Commission d’avoir en 1886 utilisé des fonds de la caisse des centimes, alimentée par les seuls ouvriers, pour secourir les accidentés, mais gérée par les seuls patrons pour faire face aux frais d’un procès. Il l’accuse d’avoir commis un détournement de fonds. Blavier le reconnaît en argumentant que la Commission se voit obligée de payer des frais qu’elle ne doit ou ne croit pas devoir. Elle prend l’argent dans la caisse en question. Le tumulte est à son comble, on n’entend que des cris, des vociférations, des injures, des menaces.
Sa sortie doit être protégée par la police. La Commission laisse pourrir la grève. Après six semaines de conflit, elle impose des conditions pour la reprise du travail. 65 grévistes sont licenciés.
C’est un échec relatif car le syndicat sort grandi de cette grève. Son autorité morale reste intacte et sort même renforcée de ce premier affrontement avec un patronat autoritaire, ombrageux, et intransigeant. Ménard a tenu le rôle de premier plan qu’il a joué dans l’organisation de la grève. Sa polémique avec Blavier lui vaut un surcroît de popularité à Trélazé et il est devenu le leader incontesté des travailleurs de l’ardoise.
Intervention houleuse à la carrière de la Forêt à Bel-Air-de-Combrée.
Au début du mois de septembre 1891, un conflit de courte durée eut lieu à la carrière de la Forêt à Bel-Air-de Combrée où les salaires sont plus bas que ceux de Trélazé. Les ouvriers réclamaient une augmentation. Ludovic Ménard s’est rendu sur les lieux pour inciter l’ensemble des ouvriers à constituer une section syndicale qui serait rattachée au groupement angevin. Les salariés de cette carrière de souche paysanne pour la plupart, se montrent peu réceptifs à la propagande syndicale, méfiants à l’égard d’un étranger. L’intervention de Ménard ne trouva pas d’échos. Il déplora leur façon d’agir : envahissant la propriété et la maison du Directeur avec des bris de vitres, de vaisselle, de meubles, mise à feu d’une meule de foin, et d’une réserve de pétrole. Une action indéfendable qui ne peut être acceptée par le syndicat. 146 carriers ont été licenciés et des poursuites judiciaires ont été engagées.
Ménard est suffisamment lucide pour comprendre qu’il faudra du temps et de la patience pour voir naître chez ses camarades de travail une véritable conscience syndicale.Ces échecs successifs n’enlèvent rien à la combativité des responsables syndicaux, au contraire : il importe d’attirer la grande masse des salariés et d’entreprendre un travail d’éducation qui amène à une juste appréciation des réalités économiques et sociales.
Une mise en sommeil de l’activité syndicale.
Alors que l’on pouvait penser à un développement de l’action syndicale, les attentats anarchistes entre 1892 et 1895 entraînent le pouvoir à voter des lois répressives, notamment sur les délits de presse, mais surtout il lance toutes ses polices pour débusquer les anarchistes. Ménard étant opposé au terrorisme comme forme d’action, il conseille à ses amis la prudence et de ne pas se faire piéger. Un commissaire spécial, dénommé Clément, est installé à Trélazé. Ménard et ses camarades font l’objet d’une surveillance policière ; des perquisitions sont faites à leur domicile mais aucune ne permettra la moindre inculpation.
Tous les anarchistes de Trélazé ne font pas preuve de la même prudence. Mercier, cordonnier installé à Malaquais, dont l’enseigne de son échoppe porte le nom : « A L’arche de Noé anarchiste ». Quatre de ses amis anarchistes, purs et durs, sont condamnés en 1894 pour appel à la violence. Ils accusent Ménard de s’embourgeoiser et manifestent de la méfiance à son égard.
Le commissaire Clément signale que les anarchistes les plus en vue tiennent toujours des réunions à la Société « La Solitude ». Il rapporte : « Nous sommes en présence d’hommes froids, capables d’exécuter n’importe quelle consigne… » L’affaire Dreyfus et le soutien à Zola ne font qu’amplifier les dissensions entre anarchistes. Ménard ,sensible à l’injustice quelle qu’elle soit, et dont est victime Dreyfus, adhère à la Ligue des Droits de l’Homme dès sa création.
Le 6 août 1894, Ménard se rend à Paris où il est cité comme témoin à décharge dans le procès des « Trente » ; c’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de Jean Jaurès.
Au cours de ce procès qui constitue l’apogée de la lutte contre l’anarchisme, trente inculpés sont jugés, allant de théoriciens de l’anarchie à de simples cambrioleurs. Tous sont rassemblés dans une même accusation d’association de malfaiteurs. La quasi-totalité des anarchistes inculpés sont acquittés.
Au début de l’année 1897, l’effervescence est sensible sur divers chantiers de la Commission. Le prix de vente de l’ardoise a été augmenté, les stocks sont épuisés et les mineurs demandent que leurs salaires soient alignés sur ceux de la Grand’Maison ; satisfaction leur est donnée.
Le 27 septembre 1897 est déclenchée une grève générale à la Commission pour protester contre la brutalité d’un clerc « d’à bas ». Il est demandé qu’il soit licencié et est aussi revendiquée une demande d’augmentation des salaires. Le patronat répond par le lock-out. La troupe et la gendarmerie investissent Trélazé. Des heurts se produisent : 9 arrestations, 7 grévistes sont condamnés à des peines de prison. La gêne s’installe de nouveau dans les foyers. Le 30 octobre voit la reprise du travail sans avoir obtenu le moindre résultat. 37 délégués de différents puits sont licenciés. La grève est terminée mais les esprits ne sont pas calmés ; la rancœur est grande chez les ouvriers de la Commission.
L’année 1898 est plus calme sur les chantiers bien que les esprits n’aient jamais été apaisés. Le syndicat végète, souffre des dissensions profondes qui existent entre les militants anarchistes. L’année 1889 n’apporte aucun changement dans la vie des perreyeux. Le relâchement de l’action syndicale se traduit par des pertes d’adhérents et une faible participation aux réunions.
C’est à cette époque que Ménard prend conscience de l’énorme avantage que pourraient tirer les ardoisiers de leur assimilation au régime des mineurs. La loi du 29 juin 1894 avait rendu obligatoire aux Compagnies minières la création de Caisses de Secours et de Retraites. L’application de cette loi aux ouvriers de l’industrie ardoisière par les pouvoirs publics ne pourra être appliquée sans la combativité et la pression d’une puissante fédération de l’industrie ardoisière.
Le 5 février 1901 est annoncée la fermeture de la carrière du Pont-Malembert. Le motif invoqué : épuisement de l’unique puits ; de ce fait, tout le personnel se trouve privé d’emploi.
Ludovic Ménard, Bahonneau, Georget, Monterneau, déploient une immense activité pour une remise sur pied du syndicat ; un nouveau bureau est élu. Peu nombreux certes, mais une minorité agissante. Le syndicat est redevenu combatif.
A la Grand’Maison fin juin 1903, la Direction décide de baisser les prix d’extraction de la pierre. Ménard et ses camarades veulent éviter un conflit généralisé. Ils engagent des négociations avec le Directeur qui s’achèvent par un compromis avec 7,50 fr. du mètre cube abattu au lieu des 8,50 fr. souhaités. La négociation, préconisée par Ménard a porté ses fruits. (Il vaut mieux une entente amiable qu’une grève douteuse).
Imposer à la mission des Ardoisières le respect de la loi du 9 avril 1894.
Le 13 août 1903, un fonceur blessé au cours de son travail se voit refuser le paiement du travail effectué antérieurement à sa blessure, celle-ci n’ayant pas été constatée et soignée par le médecin de l’entreprise. A la suite de cette sanction, solidaires de leur camarade, des fonceurs du puits se mettent en grève. Riposte de la Commission qui licencie les grévistes. Ceux-ci préconisent l’extension du conflit à l’ensemble du personnel de la Commission. Au cours d’une réunion, Ménard intervient et met en garde ses camarades contre toute décision inconsidérée. Il ne faut pas tomber dans le piège qui est tendu. Il faut faire comprendre aux patrons la nécessité de respecter la loi votée le 9 avril 1898 qui inclut le libre choix du médecin dans le cas d’un accident de travail. « Ce qu’il faut, c’est que nos camarades soient soutenus et qu’une aide leur soit apportée, de préférence en nature. » Après s’être rangés à l’avis de Ménard, une délégation des grévistes demande à être reçue par la Direction ; elle est éconduite. S’ensuivent des pétitions où est dénoncé le non-respect des règles imposées par la loi votée 9 avril 1898. Cette action est suffisante pour lever les sanctions et accorder au mineur blessé le paiement du travail effectué.
Ménard et ses camarades conviennent d’engager une propagande dans tout le bassin ardoisier de l’ouest pour rallier la masse des ardoisiers et de montrer à tous la nécessité de l’action syndicale pour obtenir l’amélioration des conditions de vie.
Du 2 au 9 avril 1904 : grève des ouvriers « d’à-bas ».
Cette grève a pour cause des différences d’interprétation, entre ouvriers et patrons, de la nouvelle loi sur la durée du travail fixée à 8 heures dans les exploitations minières. Quatre fonceurs des Fresnais qui avaient décidé selon leur propre conception de l’application de l’horaire du travail sont immédiatement licenciés. Les 800 ouvriers « d’à-bas » répliquent par la grève : forte effervescence à Trélazé, déprédation dans les chantiers. Le Préfet requiert la force publique et cent gendarmes sont dépêchés à Trélazé. Après négociation, le dénouement est heureux : la Commission accepte de lever les sanctions et un compromis est adopté sur les horaires de travail.
1904 : Création de la Fédération nationale des ouvriers ardoisiers.
A la suite de nombreux déplacements, Ménard et ses amis réussissent à jeter la base de nouvelles sections syndicales dans le Haut-Anjou à Noyant, Combrée, Renazé, Coësmes (35), Rochefort-en-Terre (56) malgré l’attitude hostile de certains ouvriers (Jets de pierres à Renazé). Grâce à l’intelligence, le courage d’hommes convaincus, motivés, comme Pierre Gemin à Renazé, ces créations ont pu se réaliser. Le 21 août 1904 s’opère à Trélazé la création de la Fédération nationale des ouvriers ardoisiers avec son adhésion à la Fédération nationale des mineurs de la Confédération Générale du travail (C.G.T.). Ménard par acclamation devient secrétaire général et Sévry, trésorier.
En janvier 1906, à l’occasion d’une pénible affaire, un fonceur, blessé dans son travail d’un coup de pic dans la poitrine, décède le surlendemain. Selon le certificat de décès, établi par le médecin de la Commission, il est mort d’une congestion pulmonaire. Le corps est déjà en bière lorsque Ménard apprend la chose, il court chez la veuve ; le clergé arrive pour la levée du corps, il s’y oppose et se rend auprès du Procureur de la République et lui arrache une ordonnance d’autopsie. L’accident de travail est reconnu et une rente est attribuée à la veuve par la Commission des Ardoisières. Cette intervention donne la preuve de l’autorité que Ménard a acquis auprès des autorités.
Du 8 au 13 octobre 1906, Ménard représente la Fédération des ardoisiers au congrès national de la C.G.T. à Amiens où est votée la charte appelée « Charte d’Amiens » qui affirme l’autonomie syndicale à l’égard des partis politiques et de toute conception philosophique.
1908 : Coup de théâtre à Trélazé.
Le 8 mai 1908 se tient le premier tour des élections municipales. Ménard rompt avec ses idées anarchistes en particulier « l’abstentionnisme » et appelle à voter pour la liste républicaine et socialiste qui est élue en entier au premier tour, battant la liste du maire sortant soutenue par la Commission des Ardoisières et le curé de la paroisse. Il était conscient qu’il ferait l’objet de nombreuses critiques de la part de ses anciens camarades anarchistes bornés et entêtés. En 1906, il avait regagné les rangs du socialisme en adhérant à la Section française de l’internationale ouvrière (S.F.I.O.) constituée en 1905 par l’unification des formations socialistes rivales. Il a été admis dans une loge maçonnique « Le droit humain ».
Mais Ménard voit plus loin : son désir est de rassembler tous les Ardoisiers de France. Après de nombreux déplacements et des échanges de courriers, progressivement les ardoisières bretonnes, alpines, ardennaises, pyrénéennes, rejoignent la Fédération qui est vraiment nationale et tient un congrès à Renazé au mois de mai 1908. L’événement majeur du congrès est la discussion du problème de l’assimilation des ardoisiers au statut des mineurs de charbon. Ménard et l’ardennais Martin Coupart sont chargés de présenter au Ministre du Travail, Viviani, les souhaits des ouvriers ardoisiers. Une entrevue préparée par Jean Jaurès a lieu fin mai 1911 et promesse est faite, avec des documents à l’appui, que le Conseil d’État sera saisi. Un projet de loi est voté en juin 1912 à la Chambre des Députés mais rejeté en 1913 par le Sénat.
1910 : Protestation et grève contre la création d’ateliers spéciaux.
Quelques années calmes ont succédé à la période agitée qui a vu s’imposer progressivement la force croissante du syndicalisme ardoisier. Il faut atteindre 1910 pour qu’un nouveau conflit surgisse. Il oppose dans un premier temps les fendeurs à la direction de la Commission qui a décidé, sans concertation, que la fabrication du modèle d’ardoises dit « anglais » sera uniquement réalisée par un personnel spécialisé. Ce qui privera les autres fendeurs d’un travail avantageux et plus rémunérateur. La Commission avait pris des précautions. Le Préfet était informé de cette création d’ateliers spéciaux qui pourrait être l’objet de vives protestations, voire d’actes de violence.
Le 7 avril 1910, ouvriers et patrons confrontent leurs points de vue, sans résultats. Une grève générale est déclenchée. Il s’agit d’une décision d’auto-défense, réflexe d’ouvriers, face à des innovations patronales qui ont pour objectifs d’augmenter la production et de maintenir des prix de vente compétitifs face à la concurrence. Ce sont les lois de l’économie libérale. La Direction prend la décision de suspendre sa production, pour une période indéterminée, et de fermer des chantiers. La force est requise pour le maintien de l’ordre.
Le Juge de Paix, en application de la loi du 27 décembre 1891, convie les deux parties à une réunion de conciliation à la mairie de Trélazé. Les délégués ouvriers sont présents mais ceux de la Commission font défaut. Ils font savoir que leur décision ne peut être rapportée. Cette position rigide du patronat a pour effet d’accroître l’exaspération ouvrière : des manifestations houleuses en résultent, qui s’accompagnent de heurts parfois violents avec les forces de l’ordre.
Au cours de cette grève vient Léon Jouhaux, secrétaire confédéral de la CGT. En accord avec Ménard, ils conseillent aux grévistes d’abandonner la revendication des nouveaux procédés de fabrication mais de demander une augmentation de salaire pour les journaliers, une réduction des horaires de 20 min, du début du travail à 6h au lieu de 5h 40 et du non-renvoi de personnel pour fait de grève.
Tout est rejeté par la direction : une manifestation de rue s’organise, les grévistes font face à la troupe aux accents de l’Internationale et du chant « gloire au 17e ». Les cordons de gendarmerie sont enfoncés. Les affrontements reprennent le lendemain. On relève des blessés de part et d’autre. Ferdinand Vest, le 1er adjoint au maire, est arrêté ainsi que trois manifestants. Vest est condamné à trois mois de prison et 150 fr. d’amende. Les autres interpellés ont 20 jours de prison et 25 fr. d’amende avec sursis. Au fil des jours de grève, la lassitude se généralise.
Après 27 jours de conflit, la Commission estime le moment venu d’annoncer la réouverture des chantiers, il est précisé par l’Administrateur-Gérant que chaque ouvrier devra remplir un formulaire d’embauche. Manifestement, la Commission se prépare à faire le tri.
Sur un échec total, la reprise est générale et 75 fendeurs n’ont pas été réembauchés. Pour faire peut-être oublier son intransigeance, la Commission verse 5000 fr. aux bureaux de bienfaisance des communes de Trélazé et des Ponts-de- Cé. Début janvier 1912, compte tenu de l’augmentation des prix des denrées alimentaires, les ouvriers de la Société des Ardoisières de l’Anjou réclament une augmentation des salaires de 15 %. La Direction refuse à consentir cette augmentation. La grève éclate le 9 janvier. Ménard veut entraîner dans le conflit les carriers de la Commission mais sa tentative échoue. Même parmi les salariés de la Grand’Maison, des voix se sont élevées contre la grève et tout espoir d’obtenir satisfaction est abandonné. Le travail reprend. Cependant, la Société consent à élever légèrement les salaires des catégories les plus défavorisées.
Le 11 mars 1912 a lieu une grève nationale de 24 h de toutes les industries minières pour obtenir la journée de travail de 8 h.
1913 : Grève de 62 jours.
En juin 1913 est dressé un cahier de revendications où est demandée une augmentation des salaires de 15%. L’Administrateur-Gérant accepte le dialogue avec le Syndicat mais la Commission Administrative répond par la négative sur tous les points de la revendication. Il en est de même à la Société de l’Anjou. L’agitation reprend début septembre avec des arrêts de travail. Le 10 septembre à Trélazé, ce sont toutes les carrières de la Commission qui arrêtent le travail avec la présentation d’un nouveau cahier de revendications à la Direction.
Le lendemain, la Commission le rejette avec un nouveau lock-out. Le travail continue à la Grand’Maison.
Une nouvelle apparition des troupes a lieu à Trélazé accompagnée d’une vive protestation du Conseil municipal. Un comité de grève, assuré de l’appui de la municipalité, décide d’organiser des soupes populaires. Au fil des jours, le Commissaire spécial de police écrit au Préfet faisant état de défilés sans violence avec des chants révolutionnaires. Le même Commissaire n’est pas tendre avec la direction de la Commission qui demeure intransigeante. Le Général de division (commandant les troupes) se plaint aussi de l’indifférence et de l’incorrection de la Commission qui ne s’est pas préoccupée de l’installation de la troupe et qui n’a même pas envoyé un représentant pour indiquer les points à garder.
Le 10 octobre, Léon Jouhaux est de nouveau à Trélazé exhortant les travailleurs à résister et lance un vibrant appel aux autres organisations syndicales pour venir en aide aux grévistes. En accord avec la Mairie sont créés des soupes populaires. Le Préfet tente un nouvel effort de conciliation mais le patronat s’y oppose. La question d’accepter un arbitrage ne peut donc se poser pour nous. Ce refus hautain est mal apprécié du Préfet.
La Commission fait connaître son intention de faire appel à des travailleurs étrangers. On apprend qu’il s’agit d’Italiens. Lors de leur arrivée à la gare d’Angers, ils ont connaissance du conflit qui existe. Ces travailleurs, ne voulant pas jouer les briseurs de grève, demandent immédiatement leur rapatriement. A bout de ressources et ne voulant pas endurer plus longtemps cette situation douloureuse, la grève cesse progressivement et le mouvement de reprise s’accentuant, il est décidé, malgré les menaces de quelques irréductibles, de mettre fin à cette grève. Après 69 jours de grève, les ouvriers se présentent sur les différents chantiers où ils sont reçus individuellement par les Directeurs. Les entretiens durent trois jours : 350 ouvriers craignent de ne pas être réembauchés et ils manifestent violemment leur mécontentement par des dégradions sur plusieurs chantiers.
Fin novembre, le travail a repris définitivement, sans avantage réel, sauf une légère augmentation pour les ouvriers « d’à-bas » de 0,50 fr.mais sans abaissement d’horaire. 250 ouvriers ont été congédiés, 152 ont volontairement abandonné la carrière. Cette grève n’a exercé aucune influence sur la situation de l’industrie ardoisière en raison de l’activité persistante des autres carrières de la Commission du Haut-Anjou où la production avait même augmenté. Malgré les appels à la grève des responsables syndicaux, une majorité du personnel de ces carrières n’a pas voulu se joindre aux grévistes trélazéens.
Le Préfet a fait part au Ministre du Travail de l’intransigeance et de la ténacité froide du Président de la Commission : « Il m’a produit la plus fâcheuse impression. A trois reprises, je l’ai prié de venir conférer avec moi et j’ai insisté près de lui pour qu’il abandonne son intransigeance et consente à recevoir les responsables syndicaux. A quoi il a répondu : « Je n’avais plus d’ouvriers, je n’avais aucune raison de recevoir des étrangers ». Lors de notre dernière entrevue, il m’a même laissé entendre qu’il avait compté sur le temps, c’est-à-dire sur la misère, pour rendre les ouvriers plus malléables, et je lui ai montré quelle grave responsabilité il avait prise, non seulement dans le présent, mais encore pour l’avenir, car la crise actuelle laissera des ferments de haine dans l’esprit de la population ouvrière. »
De ce conflit le syndicat est sorti amoindri. Dans le « Réveil des Travailleurs », organe de l’Union Départementale de la CGT, on peut lire : « Ce fut une défaite avec toutes ses conséquences, car il ne faut pas le dissimuler, ce sont les forces patronales et réactionnaires qui triomphent momentanément. Est-ce que la situation permettait d’engager la lutte ? Je dis nettement non, parce que l’attitude des ardoisiers, en juillet, démontrait aux clairvoyants, l’état d’esprit qui régnait dans les ardoisières. » Article signé : « Pierre des Buttes ».
On peut considérer que ce conflit marque la fin d’une époque. Avec lui s’achèvent ce que l’on pourrait appeler les temps héroïques du syndicalisme ardoisier. Nous sommes à quelques mois de la déclaration de la guerre 1914-1918.
Lors de la manifestation nationale contre la guerre, le 30 juillet 1914, au rassemblement qui s’est tenu à Angers, Ménard déclare que les socialistes sont aussi bons patriotes que ceux qui ne parlent que de revanche. Ce que refuse en premier Ménard, c’est le nationalisme.
Le 3 août 1914, c’est la déclaration de la guerre. Ce conflit provoque chez Ménard un « immense déchirement » car il étouffe ses croyances internationalistes et antimilitaristes. Et il joue l’Union Sacrée en participant avec Bahonneau à la demande du Préfet, à plusieurs commissions réunissant des personnalités d’origines très différentes. (Comité d’action économique, taxation des denrées, commission d’alimentation). Il se trouve en compagnie de tous les élus conservateurs parmi lesquels on trouve : le Duc de Blacas, député, les frères Bougère, Banquiers, le sénateur Bodinier, Ch. Larivière, Administrateur- Gérant de la Commission des Ardoisières… Au cours des débats de ces commissions, Ménard comme Bahonneau se font avant tout les défenseurs du petit peuple angevin. Leurs interventions durant les travaux des diverses commissions sont appréciées par le Préfet.
Comment expliquer l’altitude de Ludovic Ménard durant la guerre de 1914-1918, lui le pacifiste et antimilitariste ? Ménard pense que l’Allemagne est responsable de la déclaration de la guerre, qu’en envahissant la Belgique elle a commis un crime barbare et c’est au nom de la civilisation que nous devons que lui résister.
En 1917, au cours d’un débat qui l’oppose à Louis Bouët, instituteur pacifiste de gauche, qui accuse la C.G.T. de pas s’être opposée à la déclaration de la guerre en n’appelant pas à la grève générale et au sabotage de la mobilisation, Ménard lui répond : « Vouliez-vous tendre votre cou avec les bras croisés pour devenir esclave ? Il fallait défendre notre liberté contre l’impérialisme Allemand ». Au cours de ce même débat, Bouët évoque une reprise de la lutte des classes ! Ménard lui rétorque : « Tant que les envahisseurs allemands n’auront pas été chassés des territoires qu’ils occupent, la classe ouvrière doit s’abstenir de toute agitation qui pourrait les favoriser. » Il ajoute : » La paix oui, mais pas au prix d’une défaite. »
Appel aux mineurs ardoisiers durant la guerre dans les exploitations minières.
Durant cette guerre, dans les mines de charbon des zones non occupées, les mineurs ne peuvent suffire aux quantités nécessaires. La Fédération du Sous-sol indique que les mineurs ardoisiers sont susceptibles de suppléer le manque de bras dans les exploitations minières. Le gouvernement dans un premier temps rappelle du front deux des plus vieilles classes et les répartit, à titre d’expérience, dans les mines de houille et de fer du Pas-de-Calais et de Normandie. On constate une très bonne assimilation des ardoisiers à ces travaux miniers nouveaux pour eux. Cette participation des mineurs ardoisiers dans les exploitations minières, durant la guerre, donna au syndicat ardoisier un argument pour demander leur assimilation au Régime minier.
La Commission des Ardoisières accepte l’application des modalités spéciales de la loi du 23 avril 1919 sur la journée de 8 h.
Assimilation des Ardoisiers au régime de la Sécurité Sociale Minière.
Mais les ardoisiers attendent toujours leur assimilation au Régime minier et il faut la menace d’une grève illimitée à partir du 1er mai 1920, lancée par la Fédération CGT du Sous-sol, de paralyser toutes les mines de France. Face à cette menace, les parlements votent l’application d’une partie de la loi du 29 juin 1864 au bénéfice des ardoisiers qui les assimilent au Statut des Mineurs : régime des retraites à partir de 50 ans pour les ouvriers du fond et 55 ans pour les ouvriers du jour auquel s’ajoute le bénéfique de la Sécurité Sociale minière. « Ce n’est qu’en 1947 que les ardoisiers ont pu bénéficier de la totalité du Statut des mineurs : Allocation de logement, indemnité de chauffage, indemnité de décès, sauf de la journée chômée et payée, de la sainte Barbe, ils ont pu en bénéficier à partir de 1951 ».
Ainsi, Ménard voyait enfin le couronnement de l’œuvre à laquelle il avait consacré sa vie.
Élu, en juin 1919, secrétaire général de la Bourse du Travail d’Angers, il déploya encore une grande activité malgré une santé chancelante. De mai 1919 à mai 1920, il anima la grande poussée revendicative qui se traduisit en Maine-et-Loire par de nombreuses grèves dans l’industrie. Mais à partir de mai 1920, les dissensions au sein de la C.G.T., qui entraînaient un affaiblissement du mouvement ouvrier et préparaient la scission de décembre 1921, furent pour Ménard, vieilli, une dure épreuve. Il prit sa retraite d’ouvrier fendeur qu’il avait débuté comme apprenti 53 ans auparavant, donna sa démission de secrétaire de la Bourse le 22 juillet 1921 et abandonna toute activité syndicale.
Après une retraite sereine à Trélazé puis à Angers, endeuillé par le décès de sa femme, il décède le 30 janvier 1935 à l’hospice des Ponts-de-Cé. Ses obsèques ont donné lieu à une émouvante manifestation. Tous ses adversaires lui ont rendu hommage. Une foule immense est venue attendre le convoi funéraire à l’entrée du bourg de Trélazé pour le conduire au cimetière communal où il repose. Ils sont venus le remercier une dernière fois. La présence du Préfet de Maine-et-Loire aurait fait sourire l’ancien anarcho-syndicaliste.
Sources :
Jacques Thomé et un groupe d’enseignants : Trélazé cité des faiseurs d’ardoises
Maurice Poperen : Un siècle de lutte au pays de l’ardoise.
François Lebrun : Ludovic Ménard fondateur du syndicalisme ardoisier.
Archives Départementales.
Musée de l’Ardoise de Trélazé.
Article de Jean Morlong.
Jean Morlong est président d’honneur de l’AMOPA de Maine-et-Loire et commandeur dans l’Ordre des Palmes académiques. Proviseur honoraire, il est notamment connu pour ses conférences sur les ardoisières et ses visites du site ardoisier de Trélazé.