L’église Saint-Michel de Fontevrault par Jean Soumagne, AMOPA de Maine-et-Loire.

Lors de la sortie de l’AMOPA de Maine-et-Loire à Fontevraud-l’Abbaye, Jean Soumagne, professeur des universités émérite, a présenté l’église Saint-Michel lors d’une visite et d’une conférence passionnantes.

L’église paroissiale de Fontevrault (orthographe historique) est un des édifices religieux villageois les plus intéressants du Maine-et-Loire à la fois par son architecture originale et par la richesse de son mobilier. Elle demeure largement méconnue des touristes qui demeurent justement attirés par la magnificence de l’ensemble conventuel alors qu’elle témoigne des interrelations qui ont existé entre l’ancienne abbaye et le village contigu. Cette église a vu son chœur classé Monument historique en 1909, le classement étant étendu à l’ensemble de l’édifice en 1955.

L’édifice fut érigé à l’ouest de l’abbaye sur des terrains du grand cimetière destiné aux villageois à l’emplacement d’une chapelle funéraire qui, dans un premier temps, devint église paroissiale. L’élévation de l’église s’opéra à la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIème. Les travées orientales de l’église datent du XIIIe siècle et s’inscrivent parfaitement dans le courant des constructions gothiques de la période, tandis que la partie occidentale remonte à la fin du Moyen Age ce dont témoigne la façade « gothique flamboyant » de l’édifice ; des pièces de charpente datent de 1511. Un peu plus tard fut adjointe une chapelle au nord de l’église, et celle-ci connut divers remaniements durant les XVIe et XVIIIe siècles.

Les vicissitudes de l’édifice ecclésial aux XVIIe et XVIIIe siècles sont sans doute liées à une insuffisance de maintenance : des travaux importants de réfection des murs et des voûtes eurent lieu à la fin du XVIIème siècle tandis qu’au siècle suivant la couverture dut être refaite, le clocher réparé et la chapelle nord confortée et dotée d’une voûte lambrissée. Des incertitudes demeurent sur l’époque de mise en place des retables baroques dont les structures datent bien du XVIIe siècle mais dont la mise en place a pu s’opérer plus tardivement. C’est au XVIIIe siècle que fut accolée au côté extérieur nord du bâtiment une galerie formant auvent, en charpente couverte d’ardoises, qui se déploie jusque sur la façade, permettant d’abriter les fidèles mais masquant partiellement les baies.

 En tout cas la Révolution française, par les effets de la Constitution civile du clergé, entraîna, dans le sillage de l’abandon religieux des bâtiments monastiques et de leur conversion, des transferts de plusieurs éléments mobiliers de l’abbaye vers l’église paroissiale  avant la fermeture de celle-ci au culte sous la Convention.

L’architecture de l’église paroissiale

La nef (cliché J.S)

L’église Saint-Michel connaît une orientation classique d’ouest (porte de façade) en est (le chœur) se déployant ainsi sur 35 mètres. Sa largeur est variable de treize mètres à l’ouest à dix environ à l’est.

Il s’agit d’un édifice à nef unique (sans collatéraux) à quatre travées dont les voûtes sont de type « gothique angevin » mais avec des spécificités : les arcs sont peu aigus, le bombement est prononcé comme le souligne le P. Blomme. Les arcs et les baies, bien que d’époque gothique, demeurent en plein cintre. L’ensemble peut donner l’impression d’« une architecture un peu écrasée ».

Sans doute des rapprochements peuvent-ils être opérés avec d’autres édifices ecclésiaux du Val de Loire, Saint-Maurice à Chinon et Saint-Florent à Saumur.

Extérieurement, l’église offre au regard du côté ouest une façade en tuffeau percée de deux ouvertures flamboyantes : une baie et un portail dont l’arc et l’accolade ont été tronqués « lors de l’édification de l’auvent ». Côté nord se remarque un portail médiéval en partie masqué par un contrefort. Le clocher, en simple charpente est d’allure modeste.

Intérieurement, la distinction de largeur déjà notée entre l’ouest et l’est de l’église se retrouve pour la hauteur : le chœur est plus bas que les premières travées. Sans doute s’agit-il d’un dispositif destiné à augmenter l’effet de perspective pour les visiteurs.

A l’ouest, un arc à multiples ressauts, qualifié de « triomphal » se compose d’une série en faisceau de colonnettes surmontées de chapiteaux à feuillages et de tailloirs à personnages ; au nord (à gauche) le paradis ; au sud (à droite) l’enfer. Le style des chapiteaux est voisin de celui noté dans la chapelle Saint-Jean  à Saumur, édifice gothique remarquable situé derrière l’hôtel de ville.

Au milieu s’inscrit une voûte bombée segmentée par huit nervures dont la clé représente le Christ bénissant.

A l’est, dans le chœur, se remarquent des chapiteaux à feuillages et des tailloirs avec animaux et personnages  d’attribution incertaine (roi et reine ou abbesse ?).

Le décor et le mobilier

Depuis la fin du XVIIIe siècle une grande partie du mobilier de l’ancienne abbaye s’est trouvé dispersé comme l’a souligné René Crozet « soit dans l’église paroissiale de Fontevrault (retable et tableaux) soit dans celles de Montsoreau (stalles et sculptures en bois), de Roiffé ou de Bournand (retables), soit à Angers (grilles de chœur remontée à l’entrée de la Préfecture) ».

Retables et autels

Par la présence de pièces majeures de la sculpture du XVIIe siècle, l’église de Fontevrault constitue quasiment un musée de l’art baroque.

Un premier élément majeur est constitué par le maître-autel placé dans le chœur. Il s’agit d’un ensemble en bois doré du XVIIe siècle qui s’inscrivait à l’origine à la base d’un grand retable de l’église abbatiale. Il fut commandé en 1621 par l’abbesse Louise de Bourbon-Lavedan au sculpteur manceau Gervais de La Barre et façonné à Poitiers. Pendant la Révolution le prêtre assermenté de Fontevraud sauva la partie centrale de l’ensemble sculpté en la faisant transférer dans l’église de la paroisse dont il avait la charge ; le chœur ne pouvait pas accueillir davantage d’éléments que cet autel.

Se remarquent les représentations de la Cène, du Bon Pasteur, et sur le tabernacle celle d’Emmaüs. De part et d’autre se tiennent les statues de saint Benoît et de sainte Scholastique. Au sommet de cet édifice démonstratif Dieu le Père est entouré de saint Jean l’évangéliste et de saint Jean le Baptiste. Le retable de pierre qui encadre ce maître autel provient sans doute aussi de l’abbatiale avec peut-être des éléments rapportés.

Dans la chapelle nord, dédiée à saint Joseph (et anciennement à saint Martin) se note un grand retable du XVIIe siècle issu d’un atelier de Laval – la ville fut un centre important de fabrication de retables baroques dont la diffusion se fit dans le Maine, l’Anjou et les provinces voisines. Les colonnes comportent les initiales de « fondateurs » de l’ordre des Jésuites : Ignace et Loyola et François-Xavier. Ce retable proviendrait également de l’abbaye ; il contient un tableau du XVIIIe siècle représentant saint Joseph offert par les filles de Louis XV, tableau qui fut encastré en 1753.

Les retables de la nef placés en vis-à-vis proviennent eux aussi de l’abbaye. Datant du deuxième quart du XVIIe siècle, ils sont remarquables entre autres par la polychromie des marbres des colonnes et les deux tableaux qu’ils accueillent.

Statues et tableaux

L’essentiel des œuvres d’art religieux présentes dans l’église Saint-Michel provient de l’abbaye ; l’église forme ainsi un conservatoire artistique de premier ordre consacré principalement à des œuvres de l’âge baroque. Toutes ces pièces artistiques sont classées comme « objets » au titre des Monuments historiques. Malheureusement deux œuvres ont été volées : une Vierge à l’Enfant et un « Couronnement d’épines ».

On peut relever un Christ en croix qui date de la fin du Moyen Age, redécouvert et restauré.

Plusieurs tableaux représentent soit la crucifixion, soit la Résurrection :

  • Un sur bois de la fin du XVIe siècle (dont la « signature Dumonstier » n’est plus reconnue) où figurent au pied de la Croix les Saintes Femmes et des soldats ;
  • Deux tableaux du XVIIe siècle comportant la représentation de leurs donateurs : une crucifixion et une « dation au Rosaire » avec les armes de Jeanne Baptiste de Bourbon ;
  • Un tableau du Christ ressuscité datant du XVIIe siècle.

Dans la chapelle deux tableaux (huiles sur toile aux cadres en bois doré en forme de médaillon circulaire) renferment les armoiries de Jeanne Baptiste de Bourbon ; l’un sur la Visitation, l’autre sur l’Annonciation.

Un « Baptême du Christ »  s’inscrit au cœur d’un des retables de la nef tandis que l’autre renferme une allégorie du Christ ressuscité source (ou fontaine) de vie, à la piscine de Bethesda, dont les phylactères comportent des paroles d’Évangile. Ce tableau pourrait provenir du couvent Saint-Lazare de l’abbaye.

La chapelle Saint-Joseph présente encore d’autres œuvres du XVIIe siècle :

  • Une toile de « Sainte Marthe aspergeant le dragon » ;
  • Un « Christ aux outrages » de forme ovale.

Particulièrement remarquable apparaît le tableau-reliquaire, lui aussi du XVIIème siècle, avec des écussons aux armoiries de l’abbesse de Rochechouart, formé d’ellipses concentriques avec alvéoles encadrées de parchemin et de soie.

Tableau reliquaire (cliché J.S.)

Conclusion

L’église Saint-Michel qui est complètement insérée dans le tissu du vieux village de Fontevrault apparaît comme un écrin remarquable, certes d’architecture gothique composite, mais d’une échelle adaptée pour l’accueil, du fait des aléas de l’histoire, d’une collection de chefs d’œuvre baroques. La sobriété de l’art médiéval a offert un cadre qui s’est avéré adapté pour la riche série de retables, tableaux et sculptures du XVIIe siècle                                                   

Jean Soumagne

Bibliographie

BLOMME Yves, 1998, L’Anjou gothique, Paris, Picard, 359 p.

CROZET René, 1964, article « Fontevrault », pp. 426-477 in Congrès Archéologique de France, CXXIIe session 1964 Anjou, Paris, Soc. Fr. d’Archéologie, 689 p.

MUSSAT André, 1963, Le style gothique de l’Ouest de la France, Paris, A. et J. Picard, 436 p.

STALDER Florian, 2013, Fontevrault et Montsoreau. Un regard sur le Saumurois, L’Inventaire, Revue 303, n° 283, 111 pages.

Inventaire Général du Patrimoine Culturel : base Gertrude Pays de la Loire : dossier en ligne « église-paroissiale-saint-michel-Fontevrault », 31 pages ; consulté le 07/11/2021.

Photographies

Cliché J.S. : Photographies de l’auteur Jean Soumagne

Article de Jean Soumagne

Jean Soumagne est professeur des universités émérite. Il a enseigné la géographie et l’aménagement urbain à l’université de Poitiers puis à celle d’Angers. Il a mené ses recherches au sein du Laboratoire Espaces et Sociétés, UMR 6590, de l’université d’Angers/CNRS.

Il est membre du comité de l’AMOPA de Maine-et-Loire.

Ses principaux travaux portent sur les villes et les campagnes du centre-ouest de la France, avec des incursions en histoire et histoire de l’art. Il est l’auteur ou co-auteur de divers ouvrages :