« Les mots : une histoire longue et toujours renouvelée. De la politesse à la conversation enrichie. » Conférence de Jean Pruvost organisée par l’AMOPA de Maine-et-Loire.

La conférence organisée par l’AMOPA de Maine-et-Loire le samedi 4 février 2023 a connu un vif succès devant un public passionné. Dans le cadre d’une histoire de la langue riche en péripétie du Moyen Âge à aujourd’hui, les mots n’ont cessé d’évoluer tantôt dans leur forme, tantôt dans leurs sens, au point même parfois d’être méconnaissables ou susceptibles de contresens.

Cliché Éditions Tallandier.

Henri-Marc Papavoine, président de la section AMOPA de Maine-et-Loire, introduit la conférence de Jean Pruvost qui s’inscrit dans un cycle consacré à la langue française. Bien entendu, cette conférence s’inspire du livre de Jean Pruvost : « La politesse : Au fil des mots et de l’histoire« .

Après avoir retracé sa carrière, notamment universitaire, il présente Jean Pruvost, conférencier de ce jour : « Grâce à votre immense culture, vous nous livrez le fruit de vos recherches sur cet art de vivre ensemble sur les mille et un sens de la politesse. Avec votre humour, votre légèreté et votre érudition, vous allez tous nous entraîner dans un voyage passionnant parmi les mots, à travers le monde, à travers les siècles. »

Il est des domaines où les mots s’illustrent particulièrement comme celui de la courtoisie, de la politesse ; un concept clé traversant les siècles avec de notables différences. Au cours du temps, le sens des mots évolue, comme le montrent les deux exemples suivants : 

  • le sens que l’on admet actuellement pour le mot « énervé » est l’exact opposé de l’acceptation originelle : littéralement c’est « privé de nerf » donc très calme !  
  • à l’origine « l’apéritif » était un laxatif, sens très éloigné de la notion actuelle !

L’origine du français

Comme la majorité des langues utilisées en Europe, la langue française est d’origine indo-européenne. Les populations à l’origine des langues indo-européennes vivaient très probablement de la région ukrainienne. Elles ont migré dans toutes les directions, ce qui explique qu’il soit possible de repérer des points communs entre des langues de pays éloignés. Les missionnaires avaient de longue date remarqué cette caractéristique.

La langue française originelle a été enrichie d’apports divers : le gaulois, environ 150 mots ; le latin qui était plutôt parlé ; les langues germanique, 1 000 à 1 500 mots ; les vikings. 

Guillaume le conquérant, lors de sa conquête de l’Angleterre, apporta avec lui de nombreux mots français. Actuellement de 60 à 65% des mots anglais sont d’origine française. Certains d’entre eux témoignent des caractéristiques, qui ont disparu en français, de la prononciation des mots à l’époque de la conquête. C’est le cas de l’accent démarcatif, ou accent tonique, très présent en anglais alors qu’il a disparu en français. Cette évolution a rendu le français « plus sensuel ». Elle a entraîné la disparition de la protection de la voyelle initiale. A l’écrit on remarque également que pour un texte identique sur le plan du sens la version française est plus longue d’un tiers.

Quelques anecdotes intéressantes

Jean Pruvost
  • Le financier est un petit gâteau apprécié des gourmand(e)s. Sa recette initiale a été créée au XVIIe siècle par les sœurs visitandines qui, pratiquant beaucoup la peinture, utilisaient le jaune d’œuf comme fixatif. Afin de ne pas gaspiller les blancs, elles se mirent à fabriquer des petits gâteaux mêlant les blancs, du sucre et de la poudre d’amande. La recette tomba dans l’oubli au XVIIIe. Au XIXe, le pâtissier Lasne, établi près de la Bourse à Paris, la réhabilita en élaborant des gâteaux faciles à transporter. Proximité de la Bourse oblige, il leur donna une forme de lingot !
  • Le lin, mot d’origine indo-européenne, désigne une plante dont la tige est très droite. De son nom découlent les termes ligne, linge, linceul et crinoline, réalisée à l’aide de crin et de lin. 
  • La politesse vient du mot « politezza », connu dès 1578, qui signifie à l’origine polir, rendre lisse et sans aspérités. L’origine du concept remonte à l’époque de François 1er, qui a su s’entourer d’une cour, caractérisée par son raffinement et son goût pour les lettres et les arts. Ce protocole, cette étiquette, ont rayonné sur l’Europe entière. Cependant, au-delà d’une étiquette, la vraie politesse est celle du cœur qui, sans les mots, est la preuve d’une authentique attention à l’autre. Arthur Schopenhauer illustre la politesse par l’image du porc-épic : c’est cette manie qu’ont les êtres humains de se rapprocher puis de s’éloigner en se piquant par impolitesse. Ils ne peuvent pas vivre seuls mais pas non plus dans une trop grande promiscuité sans s’agacer.

Les conventions de la politesse sont très variables selon les pays 

  • la temporalité du regard porté à l’autre en est une illustration : au Brésil un regard trop bref est perçu comme un manque de franchise. Inversement un regard insistant est vécu comme insolent au Japon ;
  • la poignée de main peut être courte ou longue, avec une pression variable selon le sens que l’on veut lui donner. L’illustration en est la longue poignée de main que donna F. Mitterrand à H. Kohl pour sceller la réconciliation des deux pays ;
  • la distance entre deux interlocuteurs est également prise en compte de manière différente selon les cultures ;
  • le tutoiement plus ou moins aisé suivant les contrées, inexistant dans certaines langues.
  • montrer ses semelles est d’une grande incorrection en Afrique du nord.
  • le non oralisé est impossible dans certains pays asiatiques.
  • Et pour finir, un au revoir ! L’expression complète, à l’origine, était « Adieu jusqu’au revoir ». Le sens a évolué jusqu’à devenir l’inverse de l’initial : adieu signifiait nous nous reverrons ! et au revoir nous ne nous rencontrerons plus. « Goodbye », abréviation de « God be with you ». « Tchao », provient de « chiavo », esclave : je suis votre serviteur !    

Article rédigé à partir des notes de Luc Doussin, membre du comité de l’AMOPA de Maine-et-Loire.

Éditions Le Figaro Littéraire

Jean Pruvost est un lexicologue reconnu et un grand historien de la langue française. Professeur des universités, il a enseigné la lexicologie et la lexicographie à l’université de Cergy-Pontoise. Il a dirigé le laboratoire CNRS Lexiques Dictionnaires Informatique.

Jean Pruvost est également l’auteur d’environ 800 publications et assure des chroniques hebdomadaires ou quotidiennes. Il vient de publier son dernier ouvrage : « 100 mots à connaître pour rehausser un discours » paru aux Éditions Le Figaro Littéraire. Plusieurs directions éditoriales lui sont confiées. Il a reçu plusieurs prix littéraires.

Jean Pruvost est commandeur dans l’Ordre des Palmes académiques et Officier dans l’Ordre des Arts et des lettres.

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