« Philosopher avec les enfants à partir de l’œuvre d’art » par Patrick Tharrault.

La section de Maine-et-Loire de l’AMOPA livre la réflexion de Patrick Tharrault portant sur le thème « philosopher avec les enfants à partir de l’oeuvre d’art ». Après deux articles parus dans cette rubrique, il nous invite à approfondir une démarche innovante articulée autour du « débat-philo ».

Dans le même esprit est proposé aux écoles et aux collèges du département le concours national « Arts et Maths » à partir de l’œuvre d’Auguste Herbin. Concours qui illustre parfaitement la démarche proposée par Patrick Tharrault.

L’œuvre d’art, la création artistique ont toujours interrogé la philosophie. Platon et son expulsion des poètes de la cité, Jean-Jacques Rousseau et son refus du théâtre ou encore Nietzsche déclarant que « sans la musique la vie serait une erreur », beaucoup de penseurs se sont penchés sur cette activité humaine bien particulière. Les praticiens et chercheurs de la philosophie avec les enfants ont donc jugé pertinent de lier la réflexion philosophique émergente chez l’enfant avec l’approche de l’œuvre d’art.

Le débat philosophique

Le débat à visée philosophique avec les enfants ou les adolescents, à l’école ou dans d’autres structures éducatives (centres de loisirs, maisons de quartier, médiathèques…) existent en France et dans le monde depuis plus de 20 ans. L’Unesco a créé en 2016 une chaire de développement de cette activité et un diplôme universitaire valide aujourd’hui en France cette formation.

Les objectifs de la philosophie avec les enfants et les adolescents sont de développer l’esprit critique, le vivre ensemble, l’écoute et le respect d’autrui en se basant sur le triptyque fondamental de la démarche philosophique : problématisation, argumentation, conceptualisation.

Des supports multiples

Les professionnels partent généralement d’un support qui va permettre de faire émerger des questions à caractère philosophique. Il peut s’agir d’albums de jeunesse. En Maine-et-Loire, la Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale et la Ligue de l’enseignement ont mis en place depuis de nombreuses années le « Prix Littéraire de la Citoyenneté » qui propose des albums contenant de nombreuses interrogations philosophiques. Ce peut être des films ou des courts-métrages, des contes, des poèmes, des situations dilemmes mais aussi des œuvres picturales ou sculpturales.

L’œuvre d’art comme support inducteur

L’œuvre d’art constitue un bon support pour l’émergence de questions à caractère philosophique qui pourront ensuite servir pour un débat.

Dans un premier temps, les enfants ou les adolescents sont amenés à s’interroger sur l’œuvre et l’émotion qui s’en dégage. Il est ainsi possible dans un premier temps de projeter (via un vidéoprojecteur) des reproductions d’œuvres picturales (un certain nombre de références sont fournies dans mon ouvrage paru aux éditions Retz « Pratiquer le débat philo à l’école ») et de proposer aux jeunes de s’exprimer sur ce qu’ils voient et ce qu’ils ressentent. Puis, s’ils apprécient ou non l’œuvre projetée. Ce moment est important car il permet de travailler la découverte de l’œuvre, l’histoire de l’art mais aussi la maîtrise de la langue orale (mettre des mots sur ses émotions, exprimer son ressenti) et le respect des goûts d’autrui. Puis à l’issue de ce premier moment, l’animateur demande aux enfants de proposer des questions philosophiques que lui inspire l’œuvre étudiée. Un vote départage les différentes propositions. La question retenue servira alors de sujet pour le débat philosophique qui aura lieu ultérieurement.

Avec les plus petits, on pourra passer par « une cueillette des mots » (les enfants sont invités à dire un mot à partir de l’œuvre présentée puis l’adulte choisit un ou deux mots parmi tous ceux proposés et construit la question avec les enfants).

Interdisciplinarité

Comme on peut le constater, nous organisons ainsi, à travers cette pratique pédagogique, une activité basée sur l’interdisciplinarité : acquisition d’une culture artistique, maîtrise de la langue orale (mais aussi écrite : une fois la question retenue, le débat peut être préparé par écrit sur un cahier philo par les enfants), vivre ensemble, respect d’autrui…

Et il permet de donner du sens à l’expression artistique. La plupart des œuvres révèle une démarche philosophique de l’auteur. Le peintre surréaliste belge René Magritte déclarant qu »’il peignait ses toiles pour des amateurs de philosophie » nous montre que nombreux sont les artistes à avoir placé, consciemment ou inconsciemment, des questionnements existentiels dans leurs œuvres. Et de plus, rien n’interdit au « regardeur », pour reprendre l’expression de Marcel Duchamp, de projeter sur l’œuvre ses propres interrogations personnelles.

En conclusion

Tous les régimes totalitaires, de l’Allemagne nazie à la Russie stalinienne en passant par les intégrismes religieux ont toujours voulu détruire ou encadrer l’expression artistique. Il revient à l’école de la République d’emmener les enfants et les adolescents vers l’œuvre d’art, pas seulement sur le plan de la découverte technique ou historique, mais aussi sur les interrogations profondes et les échanges qu’elle peut susciter.

Article de Patrick Tharrault :

Patrick Tharrault est professeur des écoles honoraire et formateur. Il s’est investi dans les expériences de « débats-philo » avec les élèves d’écoles primaires durant de nombreuses années et dispose ainsi d’une expérience incomparable. Il est le co-fondateur de l’association « Débat-philo » qui s’investit dans la recherche et l’information autour de la pratique de la philosophie à l’école primaire. Il anime depuis plusieurs années des conférences pédagogiques et intervient en formation continue.

Patrick Tharrault est auteur de plusieurs ouvrages :

Site AMOPA 49 : https://amopa49.fr/