Approche historique du travail du schiste à Trélazé au fil des siècles par Jean Morlong, AMOPA de Maine-et-Loire.

Cet article de Jean Morlong fait suite à un premier article : « Approche historique des méthodes d’extraction du schiste » et s’intègre à la rubrique « Patrimoines en Maine-et-Loire ». L’auteur s’intéresse cette fois-ci au travail du schiste à Trélazé (Maine-et-Loire).

Au Moyen Age, les mêmes hommes, souvent des paysans, assuraient toutes les opérations d’extraction et de fabrication des ardoises. Au 16ème siècle, devant satisfaire des besoins nouveaux, les ardoisières prennent alors beaucoup plus d’importance.

Les catégories de personnels des ardoisières de Trélazé

C’est à cette époque que sont établies, selon leur qualification, les catégories des personnels des ardoisières. Le travail s’ordonne selon des procédés plus rationnels. Les siècles qui suivent voit une expansion de l’industrie ardoisière qui connaît des périodes fastes, mais aussi des périodes creuses, au détriment de la situation sociale des « Pérreyeux ». Celle-ci se caractérise par un travail pénible et dangereux, par des bas salaires, par des logements insalubres… C’est la raison pour laquelle la question ouvrière a joué un grand rôle à toutes les époques dans l’histoire ardoisière qui est parsemée de grèves et d’insurrections.

Les catégories :

  •  Les ouvriers d’en haut ou d’à haut : les fendeurs,
  • Les ouvriers d’en bas ou d’à bas : les fonceurs,
  • Les manœuvres et journaliers,
  • L’administration et l’encadrement.

Les ouvriers fendeurs

Ouvriers fendeurs. Document J.Morlong

Les ouvriers fendeurs, abrités par leur tue-vent, sont soumis aux intempéries les plus diverses. Ils louent leurs services et prétendent pouvoir passer, quand bon leur semble, d’une carrière à l’autre. Ils forment une caste à part qui s’est fait un titre d’indépendance pour s’arroger le droit exclusif de tailler et fendre le schiste.  Ils ont refusé, jusqu’au milieu du 19ème siècle, de faire d’autres apprentis (appelés chérubins) que leurs enfants. Ils sont payés au mille d’ardoises fabriquées.

Ce mode de rétribution porte le nom de « coût venant ». Selon la qualité de la pierre, la quantité reçue, l’habilité du fendeur, son assiduité… les gains peuvent varier du simple au double. Était déduit de son salaire le prix de la pierre reçue. Ils ont droit à quatre hottées par jour, permettant la fabrication de 300 à 400 ardoises avec un rendement de 30 à 40 %. A la naissance d’un garçon, ils perçoivent un hottée supplémentaire ; lorsque l’enfant prend six ans, ils reçoivent deux hottées et trois à 13 ans. A la naissance d’un garçon, ils doivent verser à une caisse commune la valeur d’un franc, idem à six, neuf et treize ans.

La réparation des hottées est particulièrement abusive de telle sorte qu’un véritable commerce des hottées supplémentaires est organisé. Les fendeurs ont des horaires libres et la distribution de la pierre ne tient aucun compte de leur assiduité, sachant que le schiste perd sa fissibilité après une longue exposition au soleil et au gel, d’où des pertes non négligeables.

La formation complète d’un fendeur nécessite au moins quatre ans d’apprentissage. Chez les fendeurs existe une grande solidarité ; quand l’un d’entre eux tombe malade ou est blessé, ses camarades s’organisent pour fendre la pierre qui lui est attribuée durant son absence.

La fabrication manuelle des ardoises

Document J.Morlong

Cette gravure datant de 1711 de Réaumur présente tous les ouvriers d’en haut : un hottier, un fendeur sous son tue-vent, trois autres qui débitent la pierre, un dernier qui taille son fendis.

La fabrication des ardoises jusque vers les années 1970 – 1975 s’est faite manuellement.

Les ardoises sont obtenues à la suite d’une série d’opérations décrites ci-après :

  • L’alignage : Il s’agit de réaliser la division d’un bloc de schiste en plaques d’une épaisseur de 8 à 10 cm à l’aide de coins en les frappant avec une masse appelée « Pic moyen ».
  • Le boucage : C’est la division des plaques débites suivant le longrain ; c’est-à-dire dans le sens de la longueur à l’aide d’un coin effilé appelé « bouc ». Il est introduit dans une entaille biseautée en forme de « v », réalisée avec une scie, et à l’aide d’un maillet. Le fendeur frappe sur le bouc, ce qui permet de séparer la plaque de schiste en petits parallélépipèdes appelés « repartons ».
  • La fente du reparton : Son épaisseur est réduite en fendis d’épais de 2 à 3,5 millimètres. Cette opération appelée tierçage se déroule en quatre étapes où le fendeur utilise des ciseaux qui sont : la poignée, le passe-partout, le doujet et le cobra.
  • Le rondiassage : Cette opération consiste à donner aux fendis la forme et leurs dimensions définitives.
Document J. Morlong.

L’usage du « doleau et du chaput », au fil du temps et des progrès, a été réalisé pour améliorer le rendement de la taille des fendis. Le « doleau » est une plaque plate coupante disposant d’une poignée en bois que le fendeur tient de la main droite, tandis que la gauche maintient le fendis sur la mécanique à coches solidement vissée sur le « chaput » fixé sur un châssis en bois.

Vers la fin du 19ème siècle, une révolution technique de la taille des ardoises est apparue avec les premiers modèles de machines appelées « rondisseuses ».

Ces modèles de machines nécessitent la présence de deux hommes. Elles sont utilisées pour la taille des grands modèles dit « Anglais ». Là aussi, on distingue les coches du devant de la rondisseuse qui servent de gabarit pour obtenir la dimension voulue de l’ardoise. L’appellation « rondissage » provient de la manipulation du fendis que l’on tourne quatre fois pour obtenir une ardoise rectangulaire.

Les préoccupations des exploitants sont de mettre au point une machine à pédale permettant de libérer le bras gauche de l’ouvrier. Plusieurs projets ont été présentés, aucun n’a abouti. C’est seulement en 1892 que sur les plans de l’ingénieur O. Lorin que 100 rondisseuses à pédale furent commandées. Les fendeurs sont propriétaires de leur outillage, y compris les tue-vent. ainsi, compte tenu du prix du de la machine, celle-ci leur leur est louée 0,25 centimes par mois.

Les femmes à la carrière

L’idée apparaît vers 1860. Elle émane de l’ingénieur en chef Aimé Blavier. Il déclare alors que la fente et la taille du schiste sont œuvre d’habilité et non de force, et que les femmes y réussissent à merveille. Il serait donc possible de créer des structures pour les femmes de carriers.

Des femmes vers la fin du 19ème siècle, des Bretonnes, furent embauchées comme manœuvres pour conduire des wagonnets destinés à évacuer les déchets résultant de la taille des fendis ou des ardoises stockées dans des cantons avant d’être commercialisées.

Atelier des fendeuses. Document J. Morlong.

En 1914, des ateliers furent créés, et on s’est empressé de trouver un certain nombre des femmes pour compenser l‘absence des hommes partis à la guerre. Il est impossible de demander aux femmes de réaliser les opérations de débitage des blocs de schiste ; elles n’ont pas la force de travail des hommes. Après une formation et selon leur l’habilité, certaines sont affectées à la fente des repartons ; les autres au rondisssage des fendis. Les moins habiles sont employées comme rouleuses. Il n’est pas question pour les femmes de fendre comme les hommes entre leur jambes, leur tenue vestimentaire ne s’y prêtant pas. Des presses à fendre sont mises en service, ce qui permet aux femmes de travailler assises.

Références bibliographiques

Les ardoisières d’Angers par F. Soulez Larivière

Trélazé ; Cité des faiseurs d’ardoises par Jacques Thomé et une équipe d’enseignants

Les mots des mines et des carrières par Gérard Lindn

Les Archives départementales de Maine-et-Loire

Les archives du Musée de l’ardoise à Trélazé

A propos des ardoisières d’Anjou par J.P. Drevet

Article de Jean Morlong

Jean Morlong est président d’honneur de l’AMOPA de Maine-et-Loire et commandeur des Palmes académiques. Proviseur honoraire, il est notamment connu pour ses conférences sur les ardoisières et ses visites du site ardoisier de Trélazé.